
On ne va pas se le cacher, La Piscine doit énormément à ses acteurs, et notamment à leurs plastiques impeccables. Entre l’animal Delon et l’icône Schneider, la complicité est évidente. Les amateurs de voyeurisme people ont d’ailleurs dû s’en donner à cœur joie à l’époque, en ayant l’impression de reluquer par le trou de la serrure l’intimité d’un « vrai » couple pourtant séparé depuis des lustres. Elle, joue Marianne, journaliste et femme indépendante, rompue à l’exercice de la séduction. Lui, joue Jean-Paul, écrivain raté et ténébreux, et accessoirement ancien alcoolique. Ils sont beaux, ils s’aiment. Ils passent des vacances idylliques entièrement dédiées au farniente (ils ont une employée de maison pour les tâches quotidiennes) dans une villa de Saint-Tropez, partageant leur temps entre la bronzette, la baignade et le sexe. Un petit goût de paradis bourgeois qui tourne au vinaigre avec l’irruption dans l’arène d’un autre fauve, ancien amant de Marianne (Harry, incarné par Maurice Ronet), et de sa fille (Jane Birkin).
Atmosphère, atmosphère, autour de cette piscine, dans laquelle se prélassent tour à tour Eros et Thanatos. Huis clos vénéneux, La Piscine captive par son ambiance ébouriffante de sensualité et de tension orageuse. La caméra de Deray semble magnétisée par les corps des acteurs, qu’elle caresse longuement au rythme de la musique de Michel Legrand. Toute la beauté de ce redoutable thriller psychologique se loge dans son art du non-dit. Subtils jeux de regards, gestes discrets mais significatifs, silences lourds de sens. Les personnages du film s’écrivent en filigrane, au détour de dialogues en apparence anodins mais chargés de sous-entendus qui révèlent leur profonde ambiguïté. Quelque part entre Tchekhov et Strindberg, La Piscine s’appuie sur l’incommunicabilité qui règne dans la villa pour distiller son poison, lent mais fatal, et transformer l’imagerie de carte postale en un capharnaüm de rivalités, de jalousies, de rancœurs et de malentendus. Avec à la clef, un duel au sommet entre Delon et Ronet à la mesure de Plein Soleil, et l’éclatante éclosion du talent et de la beauté de Romy Schneider, plus incandescente que jamais, dont La Piscine signait le grand retour, ou plutôt sa renaissance, son entrée définitive dans la cour des grands du cinéma français.
Karine M. Donelle
[Photo © Unzero Films]
La Piscine │ Film de Jacques Deray, avec Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet, Jane Birkin (France, 2h, 1968)